« Gloria Friedmann quitte l’Allemagne pour la France en 1977. Autodidacte et principalement sculpteure, cette artiste prolixe déploie une énergie expérimentale dans des pratiques aussi différentes que la peinture, l’installation, la photographie, la performance ou la vidéo. L’aspect volontairement protéiforme et l’esprit caustique de sa démarche allient gravité et futilité, dans un langage qu’elle cultive sur un mode à la fois savant et drolatique. Se saisissant d’un genre historique – le paysage – désinvesti par la sculpture contemporaine, elle se fait reconnaître au début des années 1980 par ses installations et performances ayant pour sujet la nature, dont elle estime faire « partie ». C’est cependant sur la nature « non humaine », celle existant « en dehors » d’elle-même, selon ses propres mots, qu’elle se concentre, et notamment sur les violences qu’elle subit. […]

En s’intéressant au monde du vivant, Gloria Friedmann s’est penchée sur celui de l’animal, dont elle a fait son thème privilégié depuis le début des années 1990. Toujours sur le ton de l’inconvenance, elle combine deux types de discours pour l’évoquer : le discours scientifique, qui est celui de la classification, de l’observation, de la mise à distance, de la différenciation, et le discours poétique, prophétique, qui se met du côté de l’animal en lui attribuant des qualités et des vertus humaines.

Sous forme de vestiges, empaillés ou naturalisés, ou encore de squelettes et de crânes, d’oiseaux ou de mammifères, depuis Envoyé spécial (1996) jusqu’à la série des Karaoké (2002), ces appropriations, y compris celles de leurs traces (terre, plumes d’oiseaux, ossements, feuilles), manifestent la mort qui nous lie aux animaux, tout en figurant leur instrumentalisation par la culture, puisqu’ils représentent souvent des mythes, jugements et affects, comme dans YP32 (1996). Ses compositions, conçues à partir d’empilements d’os, de leur alignement ou de leur suspension (En direct, 1994), évoquent les ossuaires baroques, monumentaux. Si l’animal est, par excellence, l’autre, le double, l’alter ego, le semblable, il est surtout innocent, inconscient. […] »

 

Chantal Béret, extrait du Dictionnaire universel des créatrices

© Éditions des femmes – Antoinette Fouque, 2013

Source : https://awarewomenartists.com/artiste/gloria-friedmann/

 

Le Gardien, 2015, acier et terre, 10 x 3 x 3,5 m, Courtesy Gloria Friedmann, © ADAGP, Paris 2017

Gloria Friedmann, Le Gardien, 2015, acier et terre, 10 x 3 x 3,5 m, Courtesy Gloria Friedmann, © ADAGP, Paris 2017